LE SIGNE SE FAIT PAR EQUERRE, NIVEAU ET PERPENDICULAIRE

 

 

L’œil …                  L’œil dans le delta lumineux …

 

Il me regarde, il m’éclaire, j’ai le sentiment aussi qu’il me domine.

 Quel est son sens ? Quel serait mon comportement si j’en étais privé ?

 Je me rappelle le bandeau sur mon visage. Je pense à l’aveugle et à cet échange, rapporté par Diderot, entre un aristocrate et un non voyant : «  Qu’est ce, à votre avis, que des yeux, lui demanda l’aristocrate. C’est, lui répondit l’aveugle, un organe sur lequel l’air fait l’effet de mon bâton sur ma main. »

Comme l’aveugle, l’apprenti avance à tâtons guidé par l’Orient lumineux. Il travaille à dégrossir la pierre brute au moyen des outils de son grade dans le cadre de la méthode maçonnique.

 Le signe qui se fait par équerre, niveau et perpendiculaire rappelle à tous les FF, leur appartenance à un ordre, le serment prêté à l’initiation, l’attachement au travail sur soi, la singularité de notre démarche et la solide égalité qui nous unit.

 Au delà de la reconnaissance mutuelle qu’autorise un langage hermétique, l’équerre, le niveau et la perpendiculaire soulignent par leurs conceptions opératives, la nécessité de l’action qui donne sens à notre démarche.

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La présente planche se propose d’aborder l’équerre, le niveau et la perpendiculaire comme un langage spécifique qui permet la construction maçonnique.

 Puis nous nous interrogerons sur la portée de ce signe, de ces outils et nous ferons cap vers l’Orient.

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I. Le signe équerre - niveau - perpendiculaire où le langage des initiés.

 Afin d’aborder pleinement le sujet de cette planche il convient de définir le sens et la portée des termes qui la compose.

 « Le signe » se réfère à un code précis et connu. Connu d’une minorité ou ayant sens pour un petit nombre de personne. L’expression « le signe » a donc la signification d’un langage et recouvre un phénomène identitaire.

 Le langage codé est nécessaire pour affirmer une identité spécifique et de la même manière cette identité est spécifique car elle s’exprime via un hermétisme.

L’hermétisme permet l’accès à une autre forme de soi même, au moyen de la symbolique. Le but recherché est la traduction de concepts en symboles afin de découvrir ce qui est caché au sein et par delà le monde profane.

 Cet hermétisme traduit un phénomène identitaire et marque la volonté ou la nécessité de rester cacher, de pratiquer le secret.

 Pourquoi le secret et son corollaire le silence ?

 

Parce que le silence est le meilleur moyen de conserver un secret. Parce qu’il oblige à un effort d’introspection. Parce qu’il signifie que je préférai avoir la gorge tranchée plutôt de révéler les secrets de notre ordre. Le signe du silence renvoi à la loyauté, au sens du devoir.

 

Le silence au grade d’apprenti est aussi un véritable moyen d’expression. Il renforce le sens de la gestuelle, de la posture du corps à l’ordre. Il marque l’attachement à un silence qui est le lien indéfectible entre le maçon et l’homme civil.

Le silence représente la continuité du lien et du travail entre le monde maçonnique et le monde profane.

 

A la fois introspection individuelle et référentiel de groupe, expression du silence et cependant expression de l’apprenti, le signe équerre, niveau, perpendiculaire, marque l’avènement d’un être nouveau, le FM, au grade d’apprenti.

 

II. Equerre, niveau, perpendiculaire : les outils de la construction maçonnique.

 La posture à l’ordre dans le Temple symbolise la démarche maçonnique, mais aussi la volonté de porter les idéaux de notre ordre.

 L’équerre est « l’emblème de la conscience de la rectitude et du droit », conformément au serment d’apprenti. L’équerre engage au respect des règles qui nous gouvernent, à la réflexion sur ces dernières, au consentement conscient de l’ordre établi. Elle pose éventuellement la possibilité de l’évolution du droit si il n’est plus conforme au projet de la maçonnerie.

 

L’équerre marque la séparation entre le corps et la tête. Lorsque le FM se met à l’ordre il s’engage à donner une place égale au sensible et au rationnel, à la matière et à l’esprit.

 

Le niveau vient niveler ce qui est à l’ordre. Il rectifie conformément à l’idée de justice les inégalités arbitraires, la démesure du caractère. Il introduit le perpendiculaire dans la mesure où il permet l’élévation, où il facilite le lien entre la terre et le ciel, entre l’humain et l’idéal, entre la voûte étoilée et le pavé mosaïque.

 

Le FM peut considérer que son temple intérieur est en voie de construction après avoir mis son corps et son esprit à l’ordre, après avoir niveler ses sentiments, après avoir recherché l’élévation.

 

Ainsi, les outils se complètent pour n’en former qu’un à la manière des bijoux des trois Lumières de l’Atelier qui invitent les FF sur les colonnes au travail face à l’œuvre inachevée. La triangulation appelle à l’unité de la loge, de l’obédience et de la franc maçonnerie universelle.

 

III. Un signe, des outils, mais pourquoi faire ?

 Je parlerai tout d’abord de géographie puis d’architecture.

 Récemment, j’ai parcouru un article évoquant la permanence des formes des constructions humaines sur le territoire, sur le sol. Ces parcellaires sont visibles du ciel, au milieu des champs, à proximité d’une route, au sein d’un espace urbain. Ils évoquent selon l’Ecole des Annales, notamment Marc Bloch, la transmission et la permanence, d’une civilisation à l’autre, des habitats ou des orientations des routes aux sorties d’une ville.

 En lisant j’ai été saisi par la comparaison qui pouvait être effectuée avec la maçonnerie. Son caractère immuable, cette tradition s’exprimant à travers le rite de façon quasi identique depuis des siècles. J’ai pensé que finalement le temps de la maçonnerie était le temps long, cher à Fernand BRAUDEL et que l’action de la FM constituait ce parcellaire invisible à l’œil nu qui structure nos paysages. Le plan caché des civilisations à une échelle supra humaine.

 

Puis, j’ai réfléchi au rôle de l’architecture et du bâti dans les civilisations.

L’architecture permet de définir à coup d’équerre, de niveau, de perpendiculaire, l’espace de la polis, de la cité. Je cite par exemple le projet de construction de la capitale fédérale aux Etats Unis, conçu par le F\ G. Washington. Il s’opposait délibérément aux capitales de la vieille Europe, entrelacs de ruelles, pour faire place au schéma urbain à l’équerre. La cité nouvelle doit être le lieu d’exercice de la liberté. Le nouveau schéma de construction inscrit dans la mémoire collective, dans les usages quotidiens, les valeurs républicaines de la Révolution américaine.

 

La force de la FM est de révéler le plan caché afin de permettre aux hommes d’agir en liberté, en conscience, et en valeur sur son environnement, matérialisant son projet de vivre ensemble.

 

Je pense que la FM doit avoir une action présente au moyen de l’évocation de la tradition; mais aussi par l’action quotidienne et par le projet qu’elle souhaite défendre au sein de la société.

 

Cependant la FM a t-elle encore une raison d’être dans les sociétés démocratiques ? sociétés ou l’aspiration à la liberté, à l’égalité est largement réalisée. Son projet historique est-il toujours valide ?

 

IV. De l’utilité de la FM : cap vers l’Orient

 

Nous venons de voir le rôle de la FM dans la prise en charge par les hommes de leurs propres destins. Dans le refus de la permanence des fondements immuables des sociétés humaines. Affirmation de la liberté la FM, n’en est pas moins une institution humaine, historiquement datée.

 Johann Gottlieb FICHTE dans son ouvrage Philosophie de la maçonnerie, avait conçu un projet pour la société dont la maçonnerie était l’instrument.

Pour Fichte la FM ne peut justifier de son existence que par la définition d’un but.

Ce but est un humanisme universel.

La société civile est incapable de promouvoir cet humanisme universel car elle obéit à un objectif de domination, par la spécialisation technique et par les distinctions sociales.

La FM doit agir comme institution séparée de la société civile afin de supprimer les obstacles que la société civile dresse à la poursuite de l’humanisme universel.

Cependant la FM est une institution mortelle car humaine qui est appelée à disparaître lorsque les conditions qui ont rendu sa formation nécessaire s’effondreront.

 

Force et de constater que la FM a réussi. Les idées des Lumières ont remis en cause les fondements sociaux anciens afin de libérer les hommes et d’affirmer l’égalité entre ces derniers. L’Etat pouvoir tutélaire, répressif est aujourd’hui le garant d’un système de solidarités actives. La liberté de conscience, le règlement pacifique des conflits sociaux sont assurés. La charge du respect du vivre ensemble est transférée à l’Etat.

 

Que nous reste t-il à faire mes FF ? !!! Baisser ce bras droit à l’ordre et s’asseoir ?

 Il faut chercher un nouvel angle pour travailler l’œuvre au moyen de nos archaïques outils à la manière des Compagnons du Tour de France qui font face à la modernité des sciences de la construction et de la fabrication.

 

Les compagnons du devoir disent que pour faire une œuvre il faut du TRAIT et un peu d’ORIENT.

 

Le TRAIT est définit comme la maîtrise de la technique, du tour de main, de la vulgate du compagnonnage.

L’ORIENT n’est jamais clairement défini. C’est une forme d’instinct face à la matière brute. C’est un savoir faire, une maîtrise de soi, une valeur ajoutée de la dimension humaine dans la création, par delà la technique et le Trait.

L’ORIENT c’est le moyen de régler les conflits entre plusieurs normes techniques au cours d’une construction, dans le but que l’œuvre soit belle et que l’équilibre de l’objet soit atteint.

 J’ai l’instinct que notre but universel, que l’ORIENT des maçons spéculatifs que nous sommes, se situe aujourd’hui dans une réflexion sur la laïcité selon un angle moral nouveau qui reste à déterminer. Afin que l’œuvre soit belle et que l’équilibre soit atteint.

 

J’y travaillerai.